« Nous ne sommes pas destructeurs par nature, mais par habitude ». (Neal Spackman)

Dans son livre Hydrater la terre (lien vers le livre), Ananda Fitzsimmons nous parle du rôle de l’eau dans le dérèglement climatique, du pourquoi et du comment nous pouvons régénérer les cycles de l’eau, de beaucoup de manières différentes. Il y en a pour tout le monde, qui que l’on soit !

Nous publions ici un large extrait du chapitre « Infrastructure verte » qui donne beaucoup d’exemples du rôle positif que l’homme peut jouer pour restaurer les écosystèmes, comme celui de Neal Spackman, à Al Baydha sur la mer Rouge.

« Notre tâche principale est de maintenir le petit cycle de l’eau afin de réhydrater la terre. La quantité d’eau sur la planète est limitée et le problème réside dans la manière dont elle est distribuée. Les pratiques modernes de gestion se sont concentrées sur le drainage qui alimente le grand cycle de l’eau, jusqu’à la mer. Le niveau des mers augmente, la raison la plus visible en est la fonte des glaciers, mais une autre raison peut-être le fait que nous drainons l’eau des terres et la laissons s’écouler rapidement vers les rivières et les fleuves. Avec le réchauffement des températures, l’évaporation augmente, les précipitations sont plus irrégulières et plus extrêmes. Les fortes pluies provoquent inondations et érosion lorsqu’elles s’écoulent dans les infrastructures de drainage, charriant la terre arable, la matière organique et les contaminants.

Chaque jour, des quantités gigantesques d’eau sont extraites des lacs, des rivières et des puits pour être utilisées comme eau potable, domestique, l’irrigation et l’industrie. Notre réflexion actuelle sur la durabilité est axée sur la préservation de l’eau. Nous disposons de toilettes, de machines à laver, de systèmes d’irrigation qui utilisent moins d’eau, et nous avons tenté de recycler celle qui est utilisée dans les processus industriels. Une utilisation plus efficace est importante, mais elle ne régénère pas le cycle de l’eau : elle ne fait que ralentir son déclin.
L’approche ci-dessus est similaire à ce que nous faisons avec le cycle du carbone. La solution complète ne consiste pas seulement à réduire les émissions, mais également à rétablir le cycle du carbone. À l’heure actuelle, nous extrayons le carbone et l’envoyons dans l’atmosphère plus vite qu’il ne peut retourner à la terre. Si nous voulons équilibrer le cycle, il faut non seulement réduire les émissions, il faut en complément augmenter le prélèvement par la végétation naturelle. La quantité totale retirée de la banque doit être égale ou inférieure à la quantité déposée.

Il en est de même pour le cycle de l’eau, nous ne pouvons pas continuer à prélever des quantités gigantesques d’eau souterraine si celle-ci ne se reconstitue pas à un rythme égal ou supérieur aux prélèvements. Il est donc urgent d’aller au-delà de la conservation de l’eau et de réfléchir à la manière dont nous pouvons remplir les aquifères et stocker l’eau dans la terre. C’est possible, mais tout doit être repensé selon des principes régénérateurs.

Ralentir, étaler, infiltrer

Le principe régénérateur au cœur de la restauration du petit cycle de l’eau est : « Ralentissez-la, étalez-la, infiltrez-la ». Le moyen par lequel l’eau passe de la mer à la terre est la pluie. Nous avons parlé des cycles de pluie, du rôle de la végétation et des arbres pour faire venir la pluie à l’intérieur des terres. Une fois que la pluie est tombée, le moyen d’alimenter le petit cycle de l’eau est de s’assurer qu’elle s’enfonce dans le sol au lieu de s’écouler. Plus vite elle s’écoule, plus vite elle quitte la terre sur laquelle elle est tombée. Le principe « ralentir, étaler, infiltrer » signifie que plus longtemps chaque goutte de pluie reste dans le sol où elle est tombée au lieu d’aller ailleurs, mieux c’est.

Pensez à une baignoire. Imaginez qu’elle se remplisse à ras bord. Imaginez ensuite la rapidité avec laquelle elle se vide lorsque vous retirez le bouchon et laissez l’eau s’écouler dans la canalisation. Imaginez maintenant qu’au lieu de tirer le bouchon, vous laissiez l’eau couler sur le bord. La baignoire étant beaucoup plus large que le tuyau d’évacuation, l’eau se déversera plus lentement sur une plus grande surface. Imaginez ensuite qu’au lieu d’atterrir sur le sol dur de la salle de bains, elle atterrisse sur une surface poreuse comme un sol fertile : la majeure partie de l’eau serait absorbée au lieu de s’écouler. C’est exactement ce que nous voulons obtenir.

Lorsque l’eau s’écoule le long d’une pente, nous voulons placer des barrières sur son chemin qui l’empêcheront de s’écouler immédiatement vers le point le plus bas. Ces barrières permettent à l’eau de s’accumuler sur une plus grande surface. Pensez à la baignoire. Lorsque l’eau s’accumule à un endroit, elle se répand et continue à s’accumuler jusqu’à ce qu’elle commence à déborder. S’il n’y a pas de point bas d’où l’eau peut s’écouler, elle s’étale sur une grande surface. En outre, l’eau qui reste immobile à un endroit ou qui se déplace très lentement s’infiltre progressivement dans le sol et s’évapore dans l’air. Nous hydratons donc l’air et la terre en même temps.

C’est le principe du ralentissement, de l’étalement et de l’infiltration. Nous ralentissons le flux en bloquant le passage de l’eau. Nous lui donnons une plus grande surface pour se répandre. Et nous lui permettons de s’infiltrer dans le sol très progressivement. Cela semble très simple mais les effets de ces techniques peuvent apporter un changement puissant et significatif dans le paysage.

Keyline design

Pour mettre en pratique le principe de ralentissement, d’étalement et d’infiltration, il faut d’abord comprendre comment l’eau s’écoule dans le paysage. Elle s’écoule toujours vers le point le plus bas. Plus la pente est grande, plus elle s’écoule rapidement. Lorsque le sol est plat, l’eau reste immobile. Sur une pente graduelle, elle s’écoule plus lentement.

Percival Alfred Yeomans était un inventeur australien qui a mis au point ce que l’on appelle le « keyline design » (système de conception par ligne de clé). Il a écrit un livre intitulé Water for Every Farm, publié en 1954, qui a influencé de nombreux penseurs dans le monde entier, notamment dans les mouvements de permaculture et de conservation des sols.

L’essence de la conception de la ligne clé est de comprendre la forme d’une parcelle de terrain en fonction de la façon dont l’eau atterrira et s’écoulera sur la propriété, et de gérer l’écoulement afin de maximiser son absorption par le terrain. L’eau s’accumule dans les vallées et s’écoule sur les crêtes.

Si vous voulez ralentir l’écoulement de l’eau, vous devez déterminer un point clé, qui est le premier endroit près du sommet de la crête principale où l’eau ira naturellement s’accumuler. Une ligne clé est la courbe de niveau qui se trouve exactement à la même altitude que le point clé.

L’eau s’écoule de la plus haute crête. Les points clés sont les plus hautes indentations où l’eau s’accumulerait. Les lignes clés sont les courbes de niveau à la même altitude que les points clés. Si l’on piège l’eau aux points clés et que l’on creuse des fossés le long des courbes de niveau, l’eau descendra plus lentement la pente et s’enfoncera dans le paysage.

Vous pouvez procéder de deux manières différentes, en fonction de la conception générale de votre terrain. Vous pouvez creuser un trou plus profond au point clé et l’endiguer, afin d’avoir un étang en amont de votre terrain. L’eau d’un barrage en amont s’écoulerait par gravité vers les points plus bas où elle pourrait être nécessaire.

Mais s’il n’est pas pratique d’installer un étang à cet endroit, vous pouvez creuser une rigole (un fossé peu profond) ou une tranchée le long de la ligne de clé. La ligne de base est la courbe de niveau qui se trouve au même niveau que votre point clé. Si vous creusez une rigole le long de cette ligne de contour avec une légère berme (un talus surélevé) ou un monticule du côté de la pente, l’eau s’y accumulera en cas de fortes pluies. Si la rigole est peu profonde, l’eau n’y restera pas très longtemps. Elle sera absorbée par le sol assez rapidement. La rigole et la berme peuvent être suffisamment peu profondes pour que vous puissiez tondre par-dessus. Il n’est pas nécessaire de modifier de manière significative l’utilisation de cette partie du terrain.

Vous pouvez aussi concevoir une rigole avec une pente graduelle pour dévier l’eau qu’elle recueille vers un autre point clé. Et là, les mêmes options s’offrent à vous. Vous pouvez créer un bassin collecteur à l’endroit le plus bas, ou vous pouvez simplement créer un point creux peu profond et une autre rigole pour dévier l’eau en zigzag le long de la pente de votre terrain.

Chacun de ces points clés pourrait héberger un petit ou un grand étang, en fonction de vos besoins. Si vous avez de fortes précipitations à certains moments de l’année, suivies de périodes sèches à d’autres moments, il y a un avantage à recueillir l’eau lorsqu’elle tombe et à la stocker dans un ou même une série d’étangs. Les rigoles qui dévient l’eau à travers le paysage peuvent être plus ou moins profondes. Si elles sont plus profondes avec une pente très faible, ou sans pente, elles peuvent contenir l’eau plus longtemps. L’eau contenue s’infiltre lentement dans le terrain, l’hydrate et alimente les réserves d’eau souterraine. Même si vous n’aménagez pas de bassins pour recueillir l’eau de pluie afin de la stocker plus longtemps et que vos rigoles ne sont que des ondulations peu profondes, vous ralentirez tout de même l’écoulement de l’eau de pluie et en ferez couler davantage sur votre propriété. Plus il y a de carbone dans votre sol, plus la quantité d’eau de pluie stockée dans le sol sera importante, même sans bassin.

Le principe de base de la conception par lignes clés consiste à prendre conscience des courbes de niveau qui définissent la structure d’un terrain et déterminent la façon dont l’eau atterrit sur la propriété et s’écoule. En faisant en sorte que l’eau s’imprègne sur les lignes clés, on peut vraiment diminuer la vitesse d’écoulement. P. A. Yeomans a également conçu une charrue spéciale qui creuse un profond sillon le long d’une ligne de clé. Sans avoir besoin de creuser à l’aide d’une excavatrice, un agriculteur peut, en labourant le long d’une ligne de clé, faire en sorte que l’eau s’enfonce plus profondément dans le champ, car l’écoulement de l’eau vers le bas sera ralenti simplement en ayant une pénétration plus profonde le long des courbes de niveau.

L’ajout de barrages et d’étangs n’est pas toujours nécessaire. Mais si vous vivez dans un endroit où l’eau est rare et n’arrive en abondance que de façon saisonnière, le fait de recueillir les réserves de la pluie, plutôt que de puiser dans les réserves d’eau souterraine, peut faire toute la différence pour la durabilité de l’utilisation de l’eau dans cet endroit. »