« L’arbre, compagnon de voyage dans le périple de la vie. » (Daaji)

« Lorsqu’un arbre est planté, nous méditons avec lui pour lui offrir l’amour de la vie. Il est traité comme un être vivant doté d’une âme, d’une conscience et d’un corps physique. Une relation est établie dès le départ avec lui, compagnon de voyage dans ce périple de la vie. »

Ce merveilleux témoignage est extrait de la toute nouvelle préface écrite par Daaji pour l’édition indienne du livre Les agriculteurs ont la Terre entre leurs mains, écrit par Paul Luu, le secrétaire exécutif de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat ».

Nous vous donnons à lire, ici, un long extrait du livre de Paul Luu, qui résume bien sa vision bienveillante et inclusive, loin des clivages et des conflits qui nous agitent souvent.

Chapitre Dix – Pas d’agriculture unique, mais un rôle unique : celui des agriculteurs et agricultrices

« Aucune des différentes formes d’agriculture que nous avons présentées, qu’elles soient de conservation, biologique, régénératrice ou agroforestière, ne sont totalement satisfaisantes prises indépendamment les unes des autres, mais elles représentent toutes une évolution positive et des sources de progrès. Ceci est particulièrement vrai si l’on se rappelle des défauts de l’agriculture conventionnelle qui domine actuellement de par le monde. Certaines de ces agricultures alternatives peuvent constituer une étape sur le chemin de l’agriculture « idéale ». Ainsi, il semblerait judicieux d’évoluer le plus rapidement possible vers l’agriculture de conservation des sols pour améliorer leur santé tout en conservant des rendements proches du conventionnel, puis d’évoluer ensuite là où ce sera possible vers d’autres formes d’agriculture appartenant aussi à l’agroécologie. Toutes ces formes d’agriculture appartenant à l’agroécologie constitueront l’agriculture « idéale » dans des contextes différents, caractérisés par un système de production donné dans un contexte agro-pédo-climatique et socio-économique particulier.

L’agroécologie doit être ainsi vue comme un continuum de plusieurs types d’agriculture avec différentes évolutions possibles. L’idéal serait d’avoir à travers le monde, les modes d’agricultures les plus adaptés à chaque condition agronomique, pédologique et climatique pour stocker un maximum de carbone afin de lutter contre le changement climatique et protéger la biodiversité, ainsi qu’aux conditions socio-économiques des agriculteurs pour améliorer la sécurité alimentaire des populations qui en dépendent.

Il apparaît en effet impossible de n’avoir qu’une seule forme « universelle » d’agriculture, qui soit adaptable à l’ensemble de la planète et à tous les systèmes de production existants.

Pour les grandes cultures, appelées aussi cultures de pleins champs comme le blé, l’orge, le maïs, le soja, le tournesol, un passage à l’agriculture de conservation des sols partout où cela est possible et au plus vite serait un énorme progrès. Le taux de carbone des sols augmenterait, moins d’intrants chimiques seraient utilisés, les émissions de gaz à effet de serre diminueraient significativement, la qualité globale de l’environnement – y compris la biodiversité – et des produits serait améliorée.

Pour les fruits et légumes, les agricultures qu’elles soient biologiques ou biodynamiques, ou encore mieux régénératrices sont bien adaptées. Il en va de même pour les petits élevages (petits ruminants, volailles, porcins) alors que les bovins pourraient plutôt être élevés selon les règles du pâturage tournant dynamique, aussi bien pour la production de lait que de viande.

En outre, plutôt que de cultiver de grandes quantités de soja et de maïs pour nourrir porcs et volailles, il existe à présent des solutions via l’élevage d’insectes. Les larves sont nourries avec des résidus de processus de transformation agro-alimentaire des amidonneries ou des sucreries, et elles permettent la production de farine protéinée et d’huiles. Ces unités d’élevage donnent un exemple d’économie circulaire dans les relations qu’elles développent avec les industriels transformateurs. Elles ont aussi la capacité de fournir des engrais riches en matière organique (le frass, c’est-à-dire les déjections des larves) aux agriculteurs locaux qui fournissent eux-mêmes les matières premières à ces transformateurs. La France est le leader mondial en matière d’élevage d’insectes avec des entreprises comme InnovaFeed et Ynsect, toutes deux partenaires de l’Initiative « 4 pour 1000 ».

Enfin l’agroforesterie pourrait s’appliquer à des situations diverses (fruitiers, plantes à épices, aromatiques, ou du type café, cacao et thé, sylvo-pâturage,) et ce dans beaucoup de régions du monde.

Il n’y a pas de solution unique, de solution miracle, mais il y a de multiples solutions pour améliorer la situation par rapport à l’agriculture conventionnelle. On peut parler de l’importance de la diversité agricole, au même titre que de la diversité biologique.

Il est important de comprendre qu’il faut faire évoluer au plus vite le système actuel où l’agriculture conventionnelle ne contribue qu’à accélérer le phénomène de pertes de sols et de déstockage de carbone.

Pour cela il faut privilégier des types d’agriculture agroécologiques qui restaureront la vie des sols en y stockant du carbone et contribueront ainsi à lutter contre le changement climatique et l’insécurité alimentaire, et à restaurer la biodiversité.

En agrégeant des données à la fois statistiques mais aussi des estimations faites par des scientifiques, on peut tenter d’avoir une photographie approximative de la situation de l’agroécologie en 2020. Voici les chiffres et leur source à l’échelle de la planète et d’un pays comme la France. Il est à noter que l’acception de l’agriculture régénérative ou régénératrice étant encore récente et non homogène, il n’y a pas de statistique ou d’estimation permettant d’en mesurer l’expansion. C’est pourquoi nous nous limiterons aux agricultures disposant de données chiffrées. En ce qui concerne l’agroforesterie, il s’agit d’estimations provenant d’une étude scientifique sur la place des arbres au sein de l’agriculture avec des couvertures arborées supérieures à 10 % des surfaces cultivées. Il est clair que ces données ne sont qu’une approximation des surfaces en agroforesterie, mais il est extrêmement difficile de disposer de statistiques sur des pratiques qui vont de la présence des arbres en haies ou en rangs dans les parcelles jusqu’aux systèmes multi-strates très complexes et proches de l’architecture d’une forêt naturelle. Ces informations donnent néanmoins des indications précieuses sur l’étendue de ces pratiques agricoles.

Sur la base de ces informations, on peut estimer que l’agroécologie concerne aujourd’hui plus de 24 % de la surface agricole utile de la planète, soit 1 213 millions d’hectares. Il s’agit probablement d’une fourchette basse car de nombreuses fermes en agriculture familiale dans les pays en développement sont de facto en agriculture biologique, les fermiers ne pouvant acheter ni engrais minéraux, ni produits phytosanitaires – sauf si ceux-ci sont subventionnés.

À l’échelle de la France, l’agroécologie ne représenterait que 14,4 % des surfaces agricoles utiles, soit 4,03 millions d’hectares, avec une nette domination de l’agriculture biologique.

Des agriculteurs et des agricultrices qui doivent être accompagnés

S’il y a différentes formes d’agriculture agroécologique qui ont chacune leurs avantages et leurs inconvénients, il y a aujourd’hui des agriculteurs et des agricultrices qui sont à la fois de moins en moins nombreux, et soumis à de très fortes pressions de la part de nombreux acteurs de la société civile, des scientifiques, des décideurs, des industriels, en lien avec les attentes des consommateurs et des citoyens de façon générale.

Les critiques sont parfois virulentes, directes, souvent injustifiées et font surtout abstraction du rôle majeur que jouent ces femmes et ces hommes pour notre alimentation quotidienne. On oublie généralement complètement que c’est bien grâce à eux que, contrairement à nos lointains ancêtres, nous n’avons pas à nous préoccuper chaque matin de la façon dont nous allons devoir trouver nous-mêmes de quoi manger.

Au-delà de ce rôle nourricier et de paysagistes qu’ils offrent à la société, il est nécessaire de s’interroger sur ce que les agriculteurs et agricultrices peuvent attendre de notre société. Il est indispensable de reconnaître leur libre arbitre, et de respecter leurs choix de telle ou telle pratique ou forme d’agriculture. Pour éclairer ces choix, les agriculteurs et agricultrices doivent avoir accès à des informations pertinentes tant techniques qu’économiques pour prendre les bonnes décisions, et décider librement de leurs pratiques.

Ils connaissent leur métier mais ils sont souvent installés dans une certaine pratique, voire enfermés par de lourds investissements, sous l’influence de différents acteurs du monde agricole et de la société civile. Beaucoup n’en sortent pas, même si parfois, ils s’inscrivent dans un cercle vicieux de pertes non seulement de rentabilité économique mais aussi de leur capital productif, à commencer par les sols de leur ferme.

Il faut tenter de les aider à sortir de cette situation, en tenant compte du fait que tous ne sont pas sensibilisés de la même façon aux enjeux environnementaux à travers le monde et que tous n’ont pas la même conscience des enjeux liés au stockage du carbone dans les sols. Il faut ainsi déterminer leurs besoins, que ce soit en informations, en conseils ou en accompagnements financiers, pour qu’ils s’engagent dans cette transition agroécologique.

C’est un des objectifs de l’Initiative internationale « 4 pour 1000 » que de construire des bases de données sur les bonnes pratiques agricoles dans toutes les zones agro-pédo-climatiques et circonstances socio-économiques du monde. Il s’agit d’aider les agriculteurs et les agricultrices à identifier les pratiques pertinentes et adaptées à leurs conditions et à prendre les bonnes décisions.

Il s’agit de proposer des solutions différentes en fonction des systèmes de production, d’orienter chaque système vers des pratiques qui vont être des solutions de changement, en expliquant les évolutions que cela génère, en termes de charge de travail, d’investissement notamment d’équipements, et de résultats économiques.

Il y a à l’échelle du monde différents types d’agriculture et différents milieux, il est donc nécessaire de développer les outils adéquats pour accompagner au mieux les agriculteurs et les agricultrices dans leur transition vers les agricultures adaptées à leurs besoins et à ceux de l’humanité. »